Une nouvelle écrite par Juan de Toro Martin
Dans le cadre de l’épisode 7 de ma baladodiffusion (Vivre en francophonie – partie 1), Juan nous a partagé qu’il avait écrit une nouvelle en français. Vous pouvez donc la lire ici.
Une ouïe à une oreille collée
Ce n’était pas facile la récupération. L’impact contre la surface de la lune avait été trop intense. Elle savait parfaitement que le ralentissement avait été effectué en retard, mais personne l’avait écoutée. Comme toujours.
Le bourdonnement ne s’arrêtait pas. Au contraire, il montait progressivement depuis quelque temps, ce qui la faisait devenir complètement folle. C’était comme si un courant d’air lunaire la traversait d’une oreille à l’autre. Même s’il n’y avait pas d’air dans la lune. Pourtant, elle pouvait ressentir l’air gelé en la traversant de bout en bout. Elle ressentie l’air glacial aussi bien que cette sensation dégueulasse, ce goût bizarre qui la faisait basculer, perdre l’équilibre. Comment c’était possible une telle chose? Elle se répétait que c’était à cause de la perte instantanée de pression après l’impact. En tout cas, c’était la première fois qu’elle apprenait une telle perception, autant de fois entendue auparavant. Ce qui la rendait tellement abasourdie. Mais, malgré tout, elle était capable de savourer un plat si dégoûtant. Quel misérable honneur!
La récupération n’allait pas bien. Pas du tout. Elle le savait. Il n’y avait aucun mouvement. Même pas un faible essai de bouger. Elle reconnaissait bien cette perception. Le corps était couché, gisant, on dirait. Trop de temps dans la même position allongée. Non, il y avait quelque chose qui ne marchait pas. Comme elle aimait quand le corps bougeait! Quand il se déplaçait à l’improviste! Mais, le meilleur, c’était quand le corps se soulevait. Sans doute. C’était à ces moments-là, quand le marteau frappé solide l’enclume, quand la vibration passait vigoureuse à travers l’étrier, qu’elle sentait son vrai pouvoir, sa vraie puissance. À ces moments-là, elle commandait la situation.
Précisément ça, exactement cette sensation, c’est-ce qui lui est arrivée quelques instants avant la manœuvre de ralentissement. Mais, cette fois-ci, il y avait quelque chose qui n’allait pas comme d’habitude. L’accélération et la position angulaire n’étaient pas correctes. La cochlée avait fait sauter les alarmes. L’avis avait été fait dans l’instant précis. Dans le bon moment. Mais il n’y avait eu aucune réponse. En plus, il y avait cette « chose » qui la bouleversée. Elle avait déjà entendue parler d’une chose qui ressemblait à ce qu’elle… voyait? Était-il possible qu’elle était en train de voir cette lumière? Voyons! C’était formidable, absolument incroyable! Et ce n’était pas correct. Pas du tout. Ce n’était pas normal. Cette lumière l’étourdit, l’angoissée. Elle venait d’où cette lumière? Elle se disait que c’était l’effet de la brusque perte de vitesse lors de la chute. En tout cas, elle ne voulait plus voir cette lumière constante, exténuante, insupportable.
La collision avait été, indubitablement, beaucoup plus terrible de ce qu’elle avait imaginé. Là-bas, parfaitement immobile, le vent lunaire en la traversant irrémissiblement de gauche à droite, le goût écœurant en montant sans frein par la trompe d’Eustache, et la lumière en habitant son espace sans piété, elle se réaffirma. «Il y a quelque chose qui ne marche pas bien. On ne bouge plus. Je n’entends rien»
Elle n’avait jamais expérimenté un silence tel que ce qu’elle ressentait à ce moment-là. Lorsque le corps dormait, parfois, elle se concentrait et essayait de rien entendre. Elle tentait de percevoir une sensation inconnue pour elle, une idée de solitude, l’idée du silence absolue. Naturellement, et malgré ses efforts, elle n’avait jamais réussi, ce qui la rendait coléreuse, hargneuse, sombre. Abattue. Et voilà, tout d’un coup, ses désirs de silence avaient été, enfin, misérablement comblés. Quelle angoisse la remplissait! Ce n’était pas ce qu’elle voulait. Pas comme ça, pas entourée de cette brume insidieuse, pas avec cette lumière indésirable et, surtout, pas avec ce goût détestable.
La respiration s’affaiblit. De moins en moins puissante. De plus en plus haletante. Les effluves montaient comme une tempête, vertigineux. Il n’y avait pas d’échappatoire. Il était temps d’assumer son destin. Ses rêves d’éprouver ailleurs, de ressentir la solitude du silence, libérée de son corps; épuisés, une chimère, une cauchemar… «C’est la fin» D’un coup, la vibration finit, la lumière éteignit, le goût disparut, le silence l’enroula. Impossible d’échapper, de fuir, de s’éloigner. Parce qu’elle n’était que, évidemment, une ouïe à une oreille collée.