Traumavertissement
Troubles du comportement alimentaire, anorexie, boulimie, hyperphagie, poids corporel.
« Disclaimer » : Ni moi, ni Laurie ne sommes spécialistes des troubles du comportement
alimentaire, il s’agit d’une discussion autour d’un témoignage, en aucun cas ce ne sont des
recommandations médicales.
Si tu souffres ou crois souffrir d’un trouble du comportement alimentaire, plusieurs ressources
existent:
● Aneb Québec 1 800 630-0907
● Le Cepia
● Info-santé, compose le 811
● Le CLSC
● Ton médecin de famille
La discussion

Mérilie : Bonjour tout le monde, je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais j’ai l’impression que les tabous de la société se lèvent peu à peu et c’est important pour la faire avancer. Par exemple, il y a 20 ans, personne ne parlait ouvertement de dépression. Maintenant, j’ai l’impression que les gens ont plus de facilité à s’ouvrir sur le sujet. Même si ce n’est pas facile, a mon avis il faut se libérer des sentiments de hontes en ce qui a trait à la santé mentale.
Je trouve qu’il y a un sujet qui n’est pas suffisamment abordé, pourrais-je même dire démocratiser considérant la quantité de gens qui en souffrent. Il s’agit des troubles du comportement alimentaires. Je suis donc vraiment contente que Laurie une jeune femme tellement intéressante, remplie de sagesse et de beauté ait accepté de s’entretenir avec moi. Vu la nature sensible du sujet, la discussion s’est faite par écrit.
Bonjour Laurie, ça va bien?
Laurie : Wow super belle présentation! Bonjour Mérilie, je vais bien et toi ?
Mérilie : Super bien, merci! Pourrais-tu te décrire en quelques phrases?
Laurie : Oui biensûr! Je m’appelle Laurie, j’ai 24 ans. Je suis étudiante à la maîtrise en sciences des aliments et je travaille présentement dans l’industrie alimentaire.
Mérilie : Il existe plusieurs troubles du comportement alimentaires qu’on a tendance à tous un peu confondre et appeler boulimie et anorexie. Pourrais-tu nous expliquer brièvement le ou les troubles alimentaires que tu as expérimentés?
Laurie : Oui! En fait, dans mon lexique à moi, il existe 3 troubles alimentaires. D’abord, on a l’anorexie qui se traduit en la privation d’aliment dans un objectif de diminuer son poids. Ensuite, on a l’hyperphagie qui serait lier au trouble de l’anorexie de sorte qu’on a de fortes envies de se gaver (excusez-moi le terme) d’aliments dont on s’est privé. Et finalement, la boulimie se caractérise plutôt comme des envies très fortes de devoir manger et de se gaver, mais de vouloir évacuer tout par la suite. Je dirais que les trois troubles sont tous reliés selon ce que j’ai vécu personnellement.
Mérilie : Un peu comme si le développement du premier menait aux deux autres?
Laurie : Oui, exactement.
Mérilie : Je crois qu’il existe d’autres troubles alimentaires dits » non spécifiés » qui sont un peu moins décrits comme par exemple l’orthorexie qui est liée à une obsession pour manger que des aliments dits « sains ».
Est-ce que tu te rappelles comment cette relation avec la nourriture est apparue?
Laurie : Oui, en fait tout cela a commencé à la fin de mon secondaire 4. J’avais beaucoup tendance à me comparer aux autres filles à mon école et je trouvais que j’avais plus de forme qu’elles. Je me disais que si j’étais comme elles, cela ferait de moi quelqu’un de meilleur. Donc, un soir, j’ai téléchargé sur mon téléphone une application qui comptait les calories consommées dans une journée et cela permettait de dire le nombre de calories à prendre dans une journée pour faire diminuer mon poids. Donc, je m’étais fixée des objectifs pour perdre au départ 5 lbs. Une fois que je l’ai atteint, j’ai encore descendu de 5 lbs et ainsi de suite.. Cela devenait très complexe de manger, puisque je comptais tout tout tout! La quantité de lait que j’ajoutais à mes céréales le matin, la vinaigrette que je mettais dans mes salades, tout!
Mérilie : C’est donc arrivée graduellement en partant d’un objectif qui peut sembler tellement anodin: perdre 5 lbs!
Laurie : Oui, exactement!
Mérilie : Avant cela, est-ce que tu avais une relation particulière avec la nourriture ou pas du tout? Outre les allergies alimentaires?
Laurie : Ahaha, oui les allergies! On peut mentionner que j’en ait beaucoup ahaha! J’ai toujours adoré manger depuis que je suis très petite. Je faisais beaucoup de cuisine avec mes deux grand-mères et ma mère. Mais la relation plus particulière avec la nourriture est vraiment arrivée au secondaire.
Mérilie : Donc c’est vraiment arrivé graduellement dans un optique de souci de l’apparence corporelle.
Comme c’est arrivé graduellement, est-ce que toi même tu t’es rendue compte que c’était un problème où ce sont les gens autour de toi qui te l’on fait comprendre?
Laurie : Au départ, je croyais que c’était normal et je ne voyais pas de mal à ce que je faisais. De plus en plus que ça allait, de plus en plus mes amies et ma famille remarquaient que je commençais à changer physiquement et que mes habitudes aussi changeaient. Je vais toujours me souvenir d’un midi où j’avais mangé une salade et qu’une de mes amies m’avait dit : « hein! tu manges ta salade comme ça ? Pas de vinaigrette, rien ? Juste de la salade verte à rien ? » Et à ce moment-là, j’ai commencé à sentir que je n’étais pas comme les autres, mais sans plus. Ma mère aussi avait remarqué que je coupais parfois mes assiettes du souper… mais je me suis rendue compte que j’avais un problème à l’étape de l’hyperphagie, quand j’ai commencé à avoir des rages de manger, aussitôt que je me trouvais seule tellement que je m’étais privée!
Mérilie : Tant que tu atteignais des objectifs de pertes de poids tout était normal. Je trouve que la perte de poids est tellement valorisée sans se poser de question sur le contexte de cette perte de poids.
Laurie: Tellement, je suis tout à fait d’accord avec toi!
Mérilie : Est-ce que tu as commencé à voir les impacts négatifs sur ta vie quand l’hyperphagie a commencé?
Laurie : Oui, parce que je devais installer toute une gestion de comment j’allais manger mes prochains repas. Est-ce que je mange, est-ce que je saute le repas ? C’était tellement de questionnements et d’anxiété. Je ne voulais pas que mes parents se rendent compte que j’avais mangé une boîte complète de biscuits avant le souper, donc là je me forçais à manger quelques bouchées dans mon assiette (juste assez pour pas que mes parents se posent trop de questions). À l’école, c’était pareil parce que j’avais parfois des crises le matin ou je mangeais des quantités énormes de tout ce qui pouvait avoir dans le garde-manger de sucré ou de salé. C’était encore de tout calculer ce que j’avais consommé versus ce que j’allais dépenser. C’était vraiment une roue sans fin de privation, de crise de vouloir manger. Parfois, j’avais des gros maux d’estomac, je n’étais pas bien. Mais en même temps, je sentais tellement, mais tellement que j’étais en contrôle.
Mérilie : La majorité de ta vie tournait autour de ça. Tu mentionnes le contrôle. C’est justement une question que je me posais si ce comportement te permettait d’avoir une sensation de contrôle.
Est-ce que tu sais pourquoi tu avais besoin de cette sensation de contrôle ou ça reste plutôt nébuleux?
Laurie : Je me pose encore la question aujourd’hui, ce n’est pas encore clair dans ma tête, mais je pense que j’avais besoin de ce contrôle là pour me sentir bien, alors que je n’étais pas bien. D’être capable de me contrôler, ça me donnait une genre de confiance.
Mérilie : On sous-estime souvent la puberté qui est une période remplie de changements qu’on ne comprend pas toujours et qui peuvent créer de l’anxiété à mon avis.
Laurie : Totalement! C’est un moment où notre corps se développe et parfois cela peut être difficile de l’accepter.
Mérilie : Présentement, quelle est ta relation avec l’alimentation?
Laurie : Présentement, ma relation avec les aliments va super bien! Je travaille d’ailleurs dans l’alimentation ahah! Maintenant, manger est un plaisir équilibré! Je me donne le droit de manger des aliments plaisirs quand j’en ai envie et je me garde en forme avec le temps que j’aie. Je n’ai plus cette pression de tout calculer et de penser à ce que les autres vont penser en voyant ce que je mange.
Mérilie : Wow, c’est super de lire ça! Quel a été le chemin pour revenir à cet équilibre?
Laurie : J’ai d’abord été prise en main par ma mère. Un soir, mes parents étaient partis à l’extérieur et j’avais fait une crise et ma mère m’avait surpris à son retour. À ce moment-là, je me souviens bien, j’avais caché du Kraft Diner dans mon garde-robe de chambre et elle l’avais trouvé et je m’étais mise à pleurer. Elle ne comprenait pas pourquoi je me sentais si mal d’avoir eu envie de manger un macaroni fromage un samedi soir comme cela. Puis là, je me suis mise à lui expliquer mes épisodes de rage/crise de bouffe et toute suite on a pris un rendez-vous avec des professionnel.le.s pour comprendre ce qui se passait. Donc, à chaque semaine j’avais des rendez-vous à l’hôpital avec une infirmière pour suivre mon poids, pression, etc. C’était très difficile pour moi de me voir sur la balance avec une jaquette d’hôpital et de parler avec les professionnel.le.s des up and down de mon poids et de mes crises. J’ai aussi consulté une ergothérapeute, une nutritionniste et une psychiatre. Elles me donnaient tous de bons trucs, mais je n’avais pas la force de les prendre. Ma routine, ma roue infinie, c’était ça ma stabilité et ce dans quoi j’étais confortable. Mais un moment donné ma psychiatre m’a dit : « si tu veux on peut fermer ton dossier, si tu ne veux pas changer ». Et c’est là que je me suis dite : « eille Laurie, t’es capable, c’est pas vrai que tu vas passer ta vie comme ça ». Et à ce moment-là, j’ai commencé à appliquer les conseils et c’était ultra difficile, mais à force de se convaincre que j’étais capable et que de manger un repas normal même si j’ai fait une crise ça fera que m’aider.
Mérilie : Tu avais besoin d’un peu de « tough love » comme on dit!
Laurie : Exactement! J’avais besoin que quelqu’un me brasse! Surtout que ce n’était pas mes amis, ni ma famille, l’effet choc était encore plus fort.
Mérilie : Avec mon amie Éli, on dit souvent pour changer quelque chose, il y a toujours cette période inconfortable. On doit sortir de sa zone de confort pour atteindre cet état où tu te rends comptes que tu n’étais pas confortable finalement avant.
Laurie : C’est totalement ça!
Mérilie : J’ai découvert récemment l’alimentation intuitive. Est-ce que tu es passé par cette méthode entre autres?
Laurie : Si j’ai la bonne définition, l’alimentation intuitive, c’est de bien écouter son corps et sa tête pour s’alimenter. C’est d’ailleurs un conseil que ma nutritionniste m’a donné et que j’utilise encore aujourd’hui. Si j’ai envie de manger du gâteau, je n’ai pas à me privé, je me permets de manger une part. Par contre, si je me prive, il se pourrait que mon envie soit tellement grande que je mange le gâteau en entier au final et ensuite mon corps en subit les conséquences, pas seulement au niveau du poids, mais au niveau émotionnel, sensation, etc.
Mérilie : Oui, c’est pas mal la définition que j’en fais aussi. Tu as mentionnée le support de ta mère. Quelle a été l’importance de ta famille dans ton processus de guérison?
Laurie : Ma famille a vraiment été là pour moi pendant le processus. Au départ, mes parents se posaient énormément de questions pour comprendre comment j’en étais arrivée là. Ils se demandaient même si ce n’était pas de leur faute, alors que non, c’était vraiment une question d’image corporelle et de comparaison. Ils étaient TOUJOURS là pour me soutenir à tous les moments que ce soit pour les rendez-vous à l’hôpital, me soutenir dans les moments où j’étais plus anxieuse après avoir fait des crises. Ma mère donnait vraiment tout ce qu’elle pouvait pour m’aider. On planifiait ensemble les moments où j’allais être seule, ce que je pouvais faire comme activités quand j’était seule pour éviter les crises.
Mérilie : Une bonne base familiale, c’est tellement salvateur si je peux dire. Vous avez fait une équipe gagnante pour ta réussite!
Qu’est-ce que tu dirais à l’ancienne Laurie pour l’aider à traverser ou éviter cela?
Laurie : Je lui dirais d’apprendre à s’aimer telle qu’elle est. Qu’elle est belle à sa façon peu importe comment les autres sont. Que l’important c’est de s’aimer soi-même et d’être bien. Que c’est normal de ne pas être à son meilleur à tout les jours, de s’écouter et d’accepter comment elle est. Notre corps, on passe notre vie dedans, pourquoi ne pas lui donner l’amour qu’il mérite.
Mérilie : C’est tellement un beau message!
Je me rappelle plus jeune, je me regardais dans le miroir et je n’aimais pas ce que je voyais. Mon père me disait : « tu te trouves pas belle parce que tu ne souris pas! »
Tu es une des personnes que je connais qui a eu un trouble du comportement alimentaire qui en parlent le plus ouvertement avec spontanéité. Est-ce qu’il y a une raison pour cela, comment tu vois ça?
Laurie : Je pense que c’est important d’en parler. C’est important de savoir que ça existe et qu’il y a des solutions. Je suis contente de voir aujourd’hui qu’on en parle de plus en plus aux jeunes parce que c’est quelque chose qui peut arriver à n’importe qui. Je me rappelle avoir eu un court vidéo au secondaire sur le sujet, mais je n’avais pas bien compris cette réalité-là et je m’étais dite : « Eille, faut vraiment être fou pour faire ça! » Un ou deux ans plus tard, c’était moi qui avait ce problème-là… Plus on en parle, je pense que plus ce sera facile que les personnes ayant des troubles alimentaires soient capable d’en parler eux.elles-aussi.
Mérilie : J’ai d’ailleurs parlé que j’allais avoir cette discussion avec toi à une amie. Elle m’a dit : « C’est vraiment le fun, moi aussi j’ai expérimenté des troubles alimentaires ». Ça a permis d’engager la discussion et d’en parler.
Je pense que d’en parler, on peut considérer ça comme une victoire que le retour à l’équilibre soit atteint ou non!
Laurie : Tout à fait d’accord, c’est bien dit!
Mérilie : Je pense qu’il faut insister sur le fait qu’il ne faut pas hésiter à consulter que ce soit pour un trouble alimentaire ou autre chose. (Plus facile à dire qu’à faire)
Laurie : Ça affecte tellement toutes les sphères de la vie que ça peut être difficile d’en parler, mais c’est tellement libérateur une fois que le processus est entrepris!
Mérilie : C’est bien dit également. Selon toi, comment les gens qui ne souffrent pas de troubles alimentaires peuvent s’éduquer sur le sujet?
Laurie : C’est certain que c’est difficile de comprendre les troubles alimentaires quand ils ne sont pas vécus. Écouter et lire les histoires des gens, je pense que c’est une bonne façon de s’éduquer et tenter de se glisser dans leur peau.
Mérilie : Une bonne dose d’empathie!
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour l’avenir?
Laurie : De poursuivre ma vie en m’aimant comme je suis, même si parfois on s’aime moins. De garder en tête qu’on a le droit d’avoir du plaisir!
Mérilie : Je vais te souhaiter ça avec plaisir!
Merci infiniment Laurie pour cette discussion. Tu es humaine superbe et je pense que tu auras touché plusieurs personnes avec ton témoignage.
Laurie : Cela me fait plaisir, merci à toi! J’espère que cela pourra aider quelques-un.e.s à mieux comprendre les troubles alimentaires et de garder en tête que c’est important de parler et de s’écouter. Et qu’on est maître de notre corps et qu’on mérite de s’aimer soi-même.
Mérilie : On ne pouvait pas finir sur de plus belles paroles!